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    C'est LE mot en vogue de cette fin d'année 2012! Lui et ses avatars contrenatur..han, antinaturel et aberration anthropologique se portent comme un charme et sont toujours de la partie quand il s'agit de lyncher les pédés qui osent réclamer le droit de se marier et se rêvent en parents aimants.

    Je dois avouer que ces expressions me laissent assez perplexe car, puisque leurs utilisateurs se défendent de plus en plus de toute référence religieuse, une question me taraude: Mais qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire?? En effet, pour tous les tenants du « non, c'est contre-nature! », il semble clair, limpide évident que ce terme renvoie à une abomination et doit donc être connoté aussi péjorativement que faire se peut. Mais d'un point de vue laïc et citoyen, qu'est-ce que cela veut donc dire que d'être contre-nature?

    Partons du terme opposé. Qu'est-ce qui est naturel? De nos jours, cela renvoie essentiellement à une notion biologique. Est naturel ce qui est un produit de la nature, c'est à dire une possibilité du vivant, une caractéristique susceptible de s'exprimer dans notre environnement. Plus encore, dans une interprétation plus moderne propre à un monde qui s'inquiète d'écologie et de mécanisation du quotidien, ce sont les caractéristiques du vivant susceptibles de se développer et de se pérenniser dans un environnement non modifié par l'Homme. Et déjà à ce stade quelques remarques s'imposent:

    Tout d'abord, dans cette nature là, il n'y a aucune notion de jugement. Le monde biologique ne connait ni le Bien ni le Mal: ces notions sont humaines. L'observer à travers le prisme de la morale est déjà une modification introduite par l'homme, donc déjà une distorsion de la réalité. Nous Français, toujours si prompts à nous gausser de la bêtise et de l'obscurantisme de nos proches voisins américains quand ceux-ci prônent le créationnisme plutôt que la théorie de Darwin, ferions bien de nous en rappeler! Car si je ne ferais pas l'affront aux opposants au mariage pour tous de penser qu'ils nient la théorie de l'évolution, je me dois cependant d'émettre quelques doutes quant à ce qu'ils en ont réellement compris. En effet, en affirmant que « l'homme est fait POUR la femme », que « l'union hétérosexuelle est la seule naturelle car elle faite POUR la procréation et POUR l'éducation des enfants », que « l'altérité des sexes est faite POUR ci ou POUR ça », que « la sexualité est vouée à la procréation », etc... ils démontrent très clairement qu'ils ont compris exactement le contraire de ce que révèle la-dite théorie ,et sombrent dans les mêmes écueils que nos collègues outre-atlantique!

     

    Car s'il l'évolution des espèces nous enseigne bien quelque chose, c'est d'abord que biologiquement nous ne sommes faits pour rien ni pour personne. C'est d'ailleurs cette crise métaphysique face à l'absence d'un sens naturel à notre existence qui nous a poussés à nous en construire un, non naturel (contre-nature?) au travers, par exemple, de religions. Le nature ne prévoit pas de sens à la vie, « ce n'est pas la fonction qui crée l'organe » comme disaient nos profs de bio. Nos caractéristiques et nos comportements évoluent au hasard de mutations, puis disparaissent ou se maintiennent selon qu'ils nous procurent ou non, à nous individus ou à la collectivité, un avantage susceptible d'améliorer notre durée et notre qualité de vie, et donc notre capacité (collective) à produire une descendance nombreuse et en bonne santé ....Et dès lors, n'en déplaise aux fanatiques religieux et aux charlatans de la science, force est de constater que l'attirance et les comportements homosexuels, documentés chez au moins 450 espèces animales dont les plus proches de la nôtre, se sont maintenus tout au long de l'arbre phylogénétique! Pourquoi? Comment? De nombreuses hypothèses sont avancées: renforcement de la cohésion du groupe, effets positifs d'une sexualité variée,etc...Qu'en penser? Peu importe...La conclusion reste que si vous voulez parler nature, non seulement le désir, le plaisir et l'attachement homosexuels sont bien naturels, une simple possibilité du vivant au même titre que leurs homologues hétérosexuels (j'ai envie dire évidemment! Si, physiologiquement, on ne pouvait pas être attiré par quelqu'un du même sexe, personne ne serait gay!), mais il semblerait aussi que ceux-ci soient tout à fait viables, pérennes voire bénéfiques à long terme pour une espèce.

    Mais alors qu'est-ce qui n'est pas naturel? Et bien tout le reste! Le non-naturel, apanage de l'espèce humaine, est constitué de toutes les constructions mentales et sociales qui permettent aux populations humaines de s'extraire de la nécessité naturelle, de son caractère impitoyable, et de se reconstruire une raison d'être, d'attribuer une valeur à la vie humaine. On les désigne souvent sous le terme générique....de culture! Cela comprend les religions, le droit, la morale, les institutions sociales, les structures sociales en général notamment la reconnaissance et l'importance de la filiation, l'art, ...peut-être aussi les sexualités d'ailleurs, autant l'hétérosexualité que l'homosexualité ou la bisexualité, non plus en tant que comportements sexuels possibles mais en tant que catégories bien identifiées, dotées de leur érotisme propre, parmi lesquelles il nous faut situer notre désir lorsqu'il s'impose à nous à la puberté. (Aurions nous besoin de les définir en effet, si nous n'associions pas à toute interaction sexuelle une interaction sociale, et si la monogamie et le couple n'avaient pas ce statut si particulier dans nos sociétés? Je n'en suis pas sûre...). Bref, le « non-naturel » c'est tout ce à quoi nous tenons finalement le plus! Et tout ce à quoi nos amis les Réacs tiennent également le plus!... ce qu'ils ont peur de perdre en ce moment... Ça alors!

    Une première conclusion s'impose donc avant de poursuivre: laissons la nature tranquille! Ce n'est pas elle qui est en cause dans ce débat. Personne ne s'oppose à elle dans cette histoire. Si vous tenez à préserver Mère Nature, allez donc vous insurger contre la pollution industrielle, les trous dans la couche d'ozone, la disparition des pingouins et les risques du nucléaire. Le débat sur l'égalité des droits entre homos et hétéros ne concerne que la sphère sociale, l'institution absolument non naturelle du mariage et les notions pas plus naturelles de droits de l'Homme et de droits de l'enfant, rendues possibles (comprendre: pensables) par l'émergence et la généralisation de philosophies et de courants de pensée tels que celui de l'individualisme moderne (qui date au mieux de la Renaissance, c'est à dire pas vraiment de l'aube des temps!)...Et seconde conclusion immédiate: un fait non naturel, voire même contre-nature, n'est donc pas forcément un point négatif, et peut même parfois être placé assez haut sur notre échelle du Bien.

     

    Cela devient d'ailleurs plus vicieux encore lorsque l'on essaye de comprendre comment ces opposants « citoyens » aux droits des gays et des lesbiennes en arrivent à prendre pour acquis que l'on peut associer écart au naturel et abomination.... En effet cela suppose qu'ils associent a priori une notion de Bien et de Mal, un jugement, à une réalité qui n'en contient pas par essence..De là à parler d'un Dieu, il n'y a qu'un pas. Ce que soulignent en réalité ses pourfendeurs de nos droits, ce n'est donc pas tant une distinction naturel/non naturel, qui n'a pas lieu d'être ici, qu'une distinction divin/non divin, en accord avec les principes religieux/ en désaccord... Les termes « nature », « anthropologique » ou « absurdité physiologique » ne sont que des artefacts pour tenter de maquiller un argument purement religieux, ne relevant que de la foi personnelle, en argument scientifique. Il n'y a donc rien, et il ne peut rien y avoir de laïc dans une affirmation de ce type, qui fait appel à notre supposée essence, à l'  « aube des temps », ou que sais-je encore...Et faut-il une nouvelle fois le rappeler? Vos principes religieux ne valent que pour vous!

    Pour finir, ces réactions peuvent même devenir drôles lorsque l'on songe aux craintes exprimées par nos détracteurs: nous allons anéantir le socle de la société (en plâtre bon marché visiblement!) qui repose sur la différence des sexes. Nous allons détruire celle-ci par nos seules idées, abolir les notions essentielles de référents masculin (pour l'homme) et féminin (pour la femme!), et ébranler par la seule force de la pensée la nécessaire binarité sexuelle du monde. Que sont ces mystérieux référents? Papa qui tond la pelouse, travaille et commande, maman douce et docile qui fait le repas et la vaisselle? Papa en chemise et cravate, maman en jupe et talons hauts? Il semble soudain compliqué ,n'est-il pas, d'exhiber une seule qualité, une seule compétence éducative qui se trouverait uniquement chez l'homme (et donc, dont toute femme, quelle qu'elle soit, serait irrémédiablement dépourvue) sans sombrer dans un sexisme de bas étage...

    Mais surtout, quelle est donc cette si fragile différence des sexes, qu'un simple courant de pensée, voire un simple texte de loi, suffit à faire s'effondrer? Que sont donc ces notions de femme féminine et d'homme masculin qu'une « infime fraction » de la société peut faire disparaître à l'envie et qui ont besoin du code civil pour exister? Certainement pas des faits de nature, par définition innés, congénitaux et donc pérennes, transcendant les époques et les cultures...mais alors bien une construction sociale, construite par dessus la nature, en plus d'elle, et pouvant donc être menacée par un nouvel ordre social ! Héhéhé... n'est-il pas amusant de constater que toutes ses hordes d'hystériques qui vilipendent à loisir une fantasmatique « théorie du gender », appuient spontanément tous leurs argumentaires sur les fondements...des études et théories sur le genre?


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